EDITO
L’idée de constituer une association est née de l’envie de fédérer parents et différents professionnels de la petite enfance autour d’un même constat : dans nos vies surchargées, les temps d’attention partagée se raréfient et se morcellent, en partie à cause d’internet et des appareils à écrans qui envahissent le quotidien des familles comme les jeux libres des enfants. Dans certains cas, ces appareils connectés vont devenir eux-mêmes des jouets, accaparant toute l’attention des petits, et parasitant la disponibilité des grands. Or, ce sont ces enfants en apparence « sur-stimulés » qui interpellent; en réalité, ils ne jouent plus, et nous semblent de plus en plus nombreux à entrer avec peine dans le faire semblant, le langage ou les apprentissages. Lors de conférences, d’ateliers, de congrès, de réunions, nous avons beaucoup échangé et pu mesurer à quel point les différents professionnels concernés s’accordaient à vouloir redonner une place centrale aux jeux développant imagination, raisonnement et langage. Nous avons alors eu l’envie de créer l’association, qui nous permettra de relayer ces belles initiatives sur tout le territoire, tout en continuant à en proposer d’autres.
C’est pourquoi nous faisons aujourd’hui appel à vous tous : faites-nous part de vos idées, ou relayez les initiatives des autres, pour que l’enfant puisse continuer à occuper sa vie à jouer, seul ou accompagné, avec le regard attentif et les mots émerveillés d’un humain.
E. Job-Pigeard, F. Lerouge, C. Vanhoutte
Fédérer…
Jouer, interagir et parler… Ces activités du quotidien ne sont pas si anodines qu’il n’y paraît ; elles sont même un moteur essentiel pour l’éveil de l’enfant. Jouer lui permet de structurer peu à peu, à partir de ses expériences et de ses échanges, sa pensée et son langage. Pour la plupart des spécialistes du développement, les besoins essentiels de bébé sont simples, et ses activités spontanées visent souvent à les satisfaire : des jeux pour exercer ses 10 doigts et ses 5 sens, et l’interaction réelle, humaine pour les porter. Quand des regards s’intéressent et se croisent, des situations font sens, des mots se posent et s’ajustent. L’ équation paraît simple : jouer, penser, parler…
Or, l’arrivée en masse récente et inédite des objets multimédias et des écrans a un impact encore mal défini sur les comportements de jeu de nos enfants. Pour les adultes de la génération X, cette « mutation culturelle » présente d’incontestables avantages : les dispositifs connectés et nomades révolutionnent l’accès à la connaissance et à la culture, tout comme les modes de vie, de travail ou de relation à l’autre. En revanche, pour les bébés de la « génération Z », qui doivent à la différence de leurs parents s’adapter à ces changements rapides dès la naissance, les bénéfices de ces technologies sont plus controversés. De fait, la multiplication de jouets avec des supports imagés et sonores très attractifs favorise des conduites de jeu précoces plus passives et sédentaires. Elles rendent les bébés spectateurs d’univers virtuels, régis par des lois abstraites, arbitraires et mouvantes. Ces activités sur écran supplantent des jeux libres plus rituels, permettant d’éprouver physiquement et d’explorer activement l’environnement réel en 3D, au moyen des yeux et des oreilles, mais encore des doigts ou de la bouche. L’inconvénient principal de l’environnement multi-écrans est qu’il s’adapte mal à leur façon d’apprendre et de comprendre. De plus, la multiplication des écrans vient parasiter les échanges, et peut même, dans certains cas extrêmes, remplacer totalement les jeux libres de nos tout petits. Tablettes, smartphones, ordinateurs, consoles de jeu, télévision connectée : les temps d’interaction humaine active diminuent au profit de la médiation plus passive des écrans. Et quand les interactions humaines s’appauvrissent, le langage et l’attention des enfants se tordent, se troublent même parfois. Le sentiment qu’il s’agit d’un problème de santé publique majeur monte chez de plus en plus de professionnels de la petite enfance. Pourtant, une vraie prise de conscience des pouvoirs publics tarde à s’imposer, et la recherche dans ce domaine est encore bien éparse.
En 2017, les 3 fondatrices de «Joue, Pense, Parle» ont pu porter plus haut et plus fort ce message dans toute la France : réunions publiques, formations, interviews ou débats dans des médias traditionnels, locaux ou nationaux, ou encore sur les réseaux sociaux. De plus, en octobre dernier, la fondation du collectif CoSE (Collectif Surexposition Ecrans) a permis à JPP de donner à ce problème de santé publique une visibilité médiatique supplémentaire. Elle illustre aussi la conviction qu’une action efficace impose à notre Association de se fédérer à d’autres voix pour éclairer le plus grand nombre, professionnels de la petite enfance ou grand public.
En 2018, nous voulons amplifier les actions de prévention autour du jeu et développer notre maillage
national et international, pour encore mieux informer, mobiliser et alerter. Mais pour cela, nous avons besoin de vous tous !!… Professionnels, parents, ou simples citoyens concernés, il est temps d’agir ensemble, il est grand temps de tous se fédérer : prenez part à cet élan, aidez-nous à défendre vos convictions en rejoignant l’Association « Joue Pense Parle » !
G. Bynen-Journo